Apogee Accoustics : Le chant des rubans
- EG
- il y a 2 jours
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Introduction
Apogee Acoustics n’a existé, dans sa forme originelle, que pendant 18 ans, de 1981 à 1999. Pourtant, peu de marques ont laissé une empreinte aussi profonde dans l’imaginaire des audiophiles. Précurseurs dans la conception d’enceintes intégralement à ruban, Apogee a également joué un rôle déterminant dans l’évolution des amplificateurs, tant leurs enceintes étaient exigeantes à alimenter. Si aujourd’hui nombre d’amplis modernes sont capables de piloter sans sourciller des charges complexes, c’est en partie grâce aux défis posés par Apogee.
Ma rencontre avec les Apogee
Je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… (ou plutôt que seuls ceux ayant trois fois 20 ans se rappelleront). À cette époque, il y avait des magasins de hi-fi dans presque toutes les villes de France. Ils prospéraient, et enrichissaient les pages de la Nouvelle Revue du Son — parfois informatives, souvent divertissantes, et à l’occasion polémiques.
Les salons hi-fi se tenaient dans des lieux dignes de ce nom, accueillant les plus grandes marques internationales. La haute-fidélité française brillait alors par sa diversité et sa qualité. Certaines démonstrations avaient lieu dans des hôtels particuliers, bien loin des halls d’exposition impersonnels ou des hôtels de réaménagés à la va-vite comme on en voit aujourd’hui. Ces écoutes étaient cérémonieuses, certes, mais elles avaient de la tenue… et du son.
C’est dans l’une de ces sessions d’écoute que j’ai découvert Apogee, alors distribuée par Europe Audio Diffusion. Il me semble que c’était une paire de Diva, multi-amplifiées par d’imposants blocs Krell. Une autre fois, j’ai assisté à une démonstration des Caliper, alimentées par deux Cello Performance (excusez du peu…). Ce fut une révélation. C’était la première fois que j’entendais des panneaux offrir une telle tenue dans le grave, une telle dynamique.
Mais le revers de la médaille ne tarda pas à apparaître : même en sacrifiant toutes mes économies, je pouvais peut-être me permettre d’acheter une paire de Caliper… mais pas les électroniques nécessaires pour les faire chanter.
Les haut-parleurs à ruban : une longue histoire
En janvier 1923, Schottky et Gerlach, de la société Siemens & Halske, déposèrent le tout premier brevet de haut-parleur à ruban. Leur invention utilisait un film d’aluminium pur, ondulé horizontalement et suspendu entre deux pôles magnétiques. Cette ondulation permettait de réduire la rigidité longitudinale et d’abaisser la fréquence de résonance.
À mesure que la technologie audio évoluait, on comprit que le transducteur idéal devait être doté d’une membrane fine, conductrice, capable de répondre avec rapidité au signal électrique — ce qui mena naturellement à l’idée du ruban.
Pendant longtemps, les haut-parleurs à ruban furent principalement utilisés pour les fréquences médiums et aiguës. Grâce à leur réponse en fréquence remarquablement linéaire, leur extension très élevée dans le haut du spectre, et leur réactivité exceptionnelle, ils permettaient une restitution très fidèle et proche d’une source sonore linéaire.
Parmi les premiers modèles connus figure le Corner Ribbon de Quad, conçu dans les années 1940, qui combinait un tweeter à ruban chargé par pavillon avec un woofer à bobine mobile.

Mais un bond en avant notable fut réalisé peu après par Stanley Kelly, qui développa son propre tweeter à ruban — racheté par Decca et devenu depuis l’incontournable Decca Ribbon.

Mais au fait, un haut-parleur à ruban, qu’est-ce que c’est ?
Un haut-parleur à ruban est composé d’un mince ruban métallique suspendu dans un champ magnétique. Le signal électrique circule directement dans ce ruban, qui se met alors en mouvement pour produire le son. L’un des grands avantages de ce type de transducteur est la faible masse du ruban, ce qui lui permet d’accélérer très rapidement — d’où une excellente réponse dans les hautes fréquences.
Cependant, les rubans sont souvent fragiles. La plupart des tweeters à ruban émettent selon un schéma dipolaire, même si certains modèles disposent de matériaux à l’arrière qui limitent ce rayonnement. Du fait des interférences de phase, le rayonnement est réduit aux extrémités du ruban, mais la directivité exacte dépend de sa longueur.
Ces haut-parleurs requièrent généralement des aimants très puissants, ce qui augmente considérablement les coûts de fabrication. De plus, leur faible impédance fait qu’ils ne peuvent être alimentés directement par un amplificateur classique. On utilise donc un transformateur abaisseur pour augmenter le courant traversant le ruban. Ce transformateur doit être soigneusement conçu, sous peine de dégrader la réponse en fréquence ou d’introduire des pertes parasites — ce qui complique et renchérit encore la conception par rapport aux enceintes traditionnelles.

Ruban ou quasi-ruban ?
Apogee utilisait à l’origine des rubans en aluminium montés sur un support en Kapton. Techniquement, cela n’en faisait pas de « vrais » rubans, ces derniers étant définis comme des conducteurs dépourvus de tout support. Toutefois, dans les premiers modèles Apogee, les tweeters et les rubans médium de 2 pouces de large étaient bel et bien de véritables rubans : du simple aluminium ondulé, sans aucun matériau de renfort, ni même de mousse pour suspendre le médium, qui était littéralement suspendu librement. Par facilité d’usage, nous utiliserons le terme « Full Ribbon » pour désigner les enceintes qui produisent toutes les fréquences à l’aide de rubans ou de quasi-rubans.
L’Ascension et la Chute d’Apogee Acoustics
La création d’Apogee Acoustics
Apogee est fondée en 1981 par Jason Bloom et son beau-père Leo Spiegel, rejoints par Gary Walker et Tony Schuman. Ensemble, ils forment une équipe qui marquera profondément l’univers très exigeant de la haute-fidélité haut de gamme (high-end).
Les fondateurs d’Apogee Accoustics
Jason Bloom
Né en 1947 à White Plains (New York), Jason Bloom commence sa carrière dans le monde de l’art après des études en beaux-arts et en histoire de l’art. Il devient directeur de galerie à New York, où il rencontre sa future épouse. Bien qu’il n’ait aucune expérience dans l’audio, il apporte à ce secteur un regard neuf, libre de tout préjugé. En partenariat avec Leo Spiegel, il conçoit la première enceinte à ruban large bande véritablement aboutie. Il se retire du secteur après la vente d’Apogee. Jason Bloom décède accidentellement en juin 2003.
Leo Spiegel
Né le 12 juillet 1924 à New York, Leo "Lee" Spiegel meurt paisiblement dans son sommeil le 25 juin 2021 à Highland Beach, Floride. Ingénieur brillant, il conçoit des composants pour des systèmes de guidage de missiles, pour l’exploration pétrolière et pour des technologies liées aux drones. À la retraite, il se consacre à créer les enceintes hi-fi les plus avancées du moment : les Apogee.
L’équipe initiale d’Apogee comprend également Gary Walke et Tony Schuman.
L’âge d’or d’Apogee (1982–1993)

1982 – Apogee Full Range
Premier modèle de la marque, surnommé simplement "The Apogee". C’est une enceinte massive de 2 mètres de haut pour environ 150 kg, divisée en deux sections distinctes : médium/aigu (détachable) et basses. Elle propose une impédance très basse (jusqu’à 0,04 ohm pour le médium), ce qui la rend extrêmement exigeante pour les amplificateurs. Elle est disponible en version passive (2 voies) ou active (2 à 3 voies).

1985 – Apogee Scintilla
Avec la Scintilla, Apogee franchit un cap. Moins imposante que la Full Range (1,5 m, 90 kg), mais encore plus difficile à alimenter. Elle est célèbre pour sa version à 1 ohm, redoutée des amplificateurs, au point qu’un Krell KSA-250 a été détruit en tentant de l’alimenter.
La Scintilla utilise un unique médium de 2 pouces, encadré par quatre tweeters placés devant et derrière dans une disposition cardioïde. Malgré ses exigences, elle est réputée pour une restitution vocale exceptionnelle, des aigus cristallins et des graves profonds jusqu’à 20 Hz. Surnommée la « tueuse d’amplis », elle reste mythique. Vous trouverez une revue de la Scibtilla par Ken Kessler ici
1986 – Apogee Duetta
Enceinte 2 voies de 1,47 m et 60 kg, avec un rendement de 86 dB. Ce modèle connaîtra plusieurs évolutions :
Duetta II (1987) : pieds vissés, sonorité plus douce adaptée au CD mais moins détaillée.
Duetta Signature (1988) : refonte visuelle et filtre retravaillé avec commutateur à 3 positions pour le médium/aigu. Elle offre de meilleures performances dans le grave et des aigus plus nets.
La Duetta est le plus grand succès commercial de la marque.
1987 – Apogee Caliper
Première enceinte dite « compacte » de la marque : 1,20 m pour 32 kg. Rendement de 85 dB, impédance moyenne de 3 ohms mais, paradoxalement, difficile à alimenter. Très populaire avec les amplificateurs Krell. Elle passe elle aussi en version Signature en 1989.

1988 – Apogee Diva
Presque aussi imposante que la Full Range, la Diva (1,83 m, 70 kg) est une 3 voies avec panneau de grave en trapèze, ruban médium à 3 éléments, et tweeter à feuille unique.
Un filtre externe réglable permet d’ajuster graves, médiums et aigus, bien que ces réglages dégradent la qualité sonore selon certains.
Deux versions : après 1993, fabrication uniquement sur commande. Les versions tardives (série >6000) incluent des aimants plus puissants et un niveau SPL max de 118 dB. Filtre modifié à partir du n°10360 pour fonctionnement DAX (filtrage actif).

1989 – Apogee Stage
Lancée en 1990, la Stage est la plus compacte des Apogee (moins d’1 mètre). Enfin une enceinte abordable et plus facile à alimenter (impédance 3 ohms, rendement 86 dB).
Elle inaugure des membranes en Mylar et tweeter à ruban en sandwich double face, remplacé en 1991 par un ruban gravé en Kapton sur une seule face. Ce modèle sert de base au système Mini Grand (1992) avec subwoofer et filtrage actif.

1992 – La gamme Centaur
Apogee lance une gamme hybride : haut-parleur conventionnel pour les graves, ruban pour médium/aigu. Trois modèles : Centaurus Minor (entrée de gamme), Centaur, Centaurus Major (haut de gamme)
Plus faciles à alimenter, y compris avec des amplis à lampes.
1992 – La gamme Apogee Grand
Mini Grand et Studio Grand combinent module ruban respectivement Stage et Studio Ribbon Array et caisson de basses avec filtre actif (DAX).
The Grand (présentée au CES 1991) est l’apogée technologique d’Apogee. Une 4 voies exceptionnelle produite à seulement 25 paires.
Caractéristiques majeures :
· Rubans gravés multi-segments
· Aimants ultra puissants
· Double woofer 30 cm à membrane composite
· Filtrage actif piloté par IR + RS-232
· Ampli de sub 600 W et ampli de tweeter 500 W signés Krell
· Hauteur : 224 cm, poids total : 590 kg par système

1993 – Apogee Studio Ribbon Array
Remplace la Duetta Signature. Dimensions similaires, mais ruban surélevé via une base intégrant le filtre. Performances réputées supérieures. Utilisée dans le système Studio Grand.
1994 – La gamme Slant
Succède à la gamme Centaur.
La Fin de l’Aventure (1998–1999)
1998 – Vente à ADS Technology
Jason Bloom vend Apogee à ADS Technology, après avoir lancé une gamme Home Cinema (Perseus, Ribbon Monitor, Column, encastrables).
1999 – Arrêt de la production d'Apogee Accoustics
Peu après l’acquisition, ADS estime qu’Apogee ne correspond pas à ses attentes commerciales. L’activité est arrêtée. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas uniquement à cause de Magnepan, bien que des litiges de brevets aient existé. Les vraies raisons sont multiples : coûts élevés de SAV et fabrication conjugué à un marché haut de gamme en contraction
Héritage et renaissance partielle
L’arrêt d’Apogee laisse des clients démunis : plus de service, plus de pièces. Beaucoup se débarrassent de leurs enceintes.Mais au début des années 2000, Graeme "Graz" Keet relance l’activité sous forme artisanale, en Australie, en proposant des pièces détachées améliorées pour la plupart des modèles Apogee. Puis peu à peu d’autres constructeurs emboitent le pas s’inspirant des réalisations d’Apogee, des utilisateurs se contactent aux quatre points du globes pour échanger, discuter de potentiels amélioration, fabrications de ruban. Le mythe Apogee n’est pas près de mourir.
Apogee aujourd’hui
Marché de l’occasion et restauration
Dans ce chapitre, nous nous concentrerons uniquement sur les modèles Apogee dits « Full Ribbon ». Les versions hybrides, comme les Centaur et Slant, présentent selon moi un intérêt plus limité.
Si vous souhaitez découvrir le son inimitable des enceintes Apogee, le marché de l’occasion constitue une option viable — à condition de faire preuve de prudence. Certaines enceintes ont désormais plus de 40 ans, ont changé plusieurs fois de propriétaire, et ont parfois subi des modifications pour le moins douteuses.
Au début des années 2000, on pouvait encore dénicher des modèles en bon état pour un prix dérisoire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On trouve désormais deux types d’offres :
des modèles restaurés avec soin, dans le respect des spécifications d’origine ;
d’autres, en état variable, parfois présentant des défauts sérieux.
Les problèmes les plus fréquents :
Les mousses amortissantes qui encadrent la membrane sont les plus sujettes à l'usure : comme les suspensions en mousse des haut-parleurs dynamiques, elles finissent par se désagréger. Résultat : un buzz parasite, souvent fréquentiel, qui devient rapidement gênant.
Les rubans eux-mêmes peuvent être détendus ou endommagés. Si remplacer les rubans médium et aigu est relativement faisable, le changement des panneaux de basses est nettement plus complexe. Apogee Acoustics (Australie) ne vend d'ailleurs ses panneaux de grave qu’aux professionnels agréés.
Le cadre en bois, quant à lui, était de qualité moyenne à l'origine et souffre souvent de déformations ou fissures avec le temps.
À savoir avant d’acheter :
Toujours écouter avant d’acheter — encore plus essentiel ici que pour d’autres matériels vintage.
Préférez un historique clair : exigez des factures en cas d’interventions ou de modifications.
Une Apogee d’origine nécessite presque toujours une restauration à court ou moyen terme.
Préparez-vous à investir dans l’amplification : même les modèles réputés « faciles à driver » demandent une forte capacité en courant.
Prix du marché de l’occasion (valeurs indicatives – hors restauration)
Note : le coût d'une restauration peut parfois égaler, voire dépasser, le prix d'achat initial.
Modèles « courants » :
Stage : entre 400 et 3 500 €
Duetta : entre 2 000 et 5 000 €
Caliper : entre 1 000 et 5 000 €
Diva : plus rares, entre 4 000 et 7 000 €
Modèles « d’exception » :
Scintilla & Studio Grand : entre 6 000 et 20 000 €
Full Range & Studio Grand : à partir de 15 000 €
Apogee Grand : si vous en trouvez une (25 paires produites), comptez plus de 60 000 €
Conclusion : passion, patience et prudence
Restaurer une Apogee aujourd’hui, c’est un peu comme restaurer une voiture de collection : un projet d’amour, parfois coûteux, mais profondément gratifiant pour qui sait écouter. Que vous le fassiez vous-même ou que vous le confiez à un réparateur qualifié, vous entrez dans un monde à part — celui du son à ruban, vivant, dynamique, inimitable.
Ressources utiles : réparateurs & pièces détachées
Voici quelques adresses sérieuses pour l’entretien ou la restauration de vos enceintes :
➡️ Un tutoriel vidéo très complet sur le remplacement des panneaux de grave : YouTube – remplacement panneaux de grave
(Vidéo également disponible gratuitement sur le site de Clarisys.)
Le marché du neuf : les fabricants actuels de « Full Ribbon »
Personnellement, j’ai choisi de représenter la marque Clarisys Audio, qui me semble le digne héritier de l’esprit Apogee. Je ne commenterai pas les autres fabricants — je vous laisse juger par vous-mêmes.
Voici une sélection de marques qui proposent aujourd’hui des enceintes à ruban intégral :
Le Mythe Apogee est plus que jamais vivant.
Que vous choisissiez la voie plus périlleuse de la restauration ou que vous optiez pour une réinterprétation moderne vous ne serez pas déçu. Vous aurez des enceintes à nulle autre pareils avec des qualités d’image, de dynamique, de cohérence sonore que peu d’enceintes peuvent égaler quel qu’en soit le prix.
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