Mark Levinson: “For the love of music”
- EG
- 26 juin
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin
Introduction : Mark Levinson, un homme, une vision
Au-delà de la marque, c’est à l’homme que l’on s’intéresse ici : Mark Levinson, figure emblématique du "High-End", pionnier de la haute-fidélité, mais aussi musicien, ingénieur du son et électronicien autodidacte.
Né en 1946, il débute comme contrebassiste et trompettiste dans le monde du jazz, jouant notamment aux côtés de Paul Bley (de 1966 à 1971), John Coltrane, Sonny Rollins et Chick Corea. Refusant le parcours académique traditionnel, il choisit les tournées plutôt que l’université, privilégiant la pratique et la passion.

Personnalité controversée, il n’en reste pas moins l’un des plus grands contributeurs à l’essor de l’audio haut de gamme, tant par sa vision que par ses innovations.
La période Mark Levinson Audio Systems (MLAS)
En alliant ses deux passions — la musique et l’électronique — Mark conçoit la table de mixage utilisée lors du légendaire festival de Woodstock. Inspiré par son mentor Richard S. Burwen, il fonde en 1972 Mark Levinson Audio Systems (MLAS Ltd.).
Quelques créations marquantes de cette époque :
1973 : LNP-2, préamplificateur conçu avec Burwen, provoque un choc dans l’industrie avec ses performances hors normes (140 dB de dynamique, 120 dB de signal/bruit). C’est l’un des premiers vrais produits "High-End".
Mark Levinson LNP-2 1974 : JC-2, version plus accessible du LNP-2, plus tard renommé ML-1. Le circuit phono JC-1 est également signé John Curl.
1977 : ML-2, un bloc mono de 25W en classe A devenu mythique. Capable de délivrer 100W sous 2Ω, mais aussi de chauffer comme un radiateur ! Malgré sa fragilité, bien restauré, il reste une référence absolue pour les enceintes exigeantes comme les LS3/5A ou les Quad ESL.

1978 : HQD, système de référence haut-parleurs combinant électrostatiques Quad ESL 57, tweeters Decca et subwoofers Hartley, alimentés par six ML-2. Le tout vendu 20 000 $ à l'époque — du jamais vu.

La rupture :
En 1980, MLAS traverse une période financière difficile. Mark fait appel à Sanford Berlin pour investir. Ce dernier prend le contrôle de l’entreprise, reléguant Mark au rôle d’employé. Le conflit éclate en 1983, menant à une séparation définitive en 1984 et à de longues batailles judiciaires. La marque lui est définitivement retirée.
L’ère Madrigal (1984 - 1995)
Rachetée par Madrigal Audio Laboratories, MLAS prend un nouveau souffle. Dotée d’une équipe d’ingénieurs brillants et de plus de ressources, la marque poursuit son envol.
Produits phares de cette période :
1986 : Nº20, ampli mono 100W en classe A, puis évolue en 20.5 (1988) et 20.6 (1992). Puissants et musicaux, bien plus fiables que le ML-2 (sauf la version 20.6 qui souffre de soucis liés aux cartes en téflon).
Mark Levinson 20.5 1987 : Nº23, double mono en classe A/B, devenu le 23.5 (1990), considéré comme l’un des meilleurs amplis A/B jamais conçus — mais très difficile à réparer.
1993 : Nº38, préamplificateur remarquable, sobre et efficace.
Et ensuite ?
En 1995, Harman International rachète Madrigal et détient toujours la marque Mark Levinson aujourd’hui. Mais ça, c’est une autre histoire…
La période post-Mark Levinson : entre continuité, renouveau et audace
Cello Ltd. (1990 ~ 1998) : la quête absolue
Après sa séparation avec la société portant son nom, Mark Levinson ne s’arrête pas là. Avec son complice Thomas Colangelo et son mentor Richard S. Burwen, il fonde Cello Ltd. avec un objectif clair : créer le meilleur système audio jamais conçu. Cette nouvelle aventure se démarque rapidement avec des réalisations d’exception : amplis, préamplis, DACs, enceintes, jusqu’à des systèmes complets sous la bannière Cello Music & Film Systems.
Les produits phares de Cello :
Cello The Audio Palette – L’art de redonner vie aux enregistrements
Premier produit Cello et véritable ovni dans le monde audiophile de l’époque, l’Audio Palette est un égaliseur d’exception imaginé par Burwen. Il permet d’ajuster la tonalité des enregistrements sans altérer la qualité sonore — un outil révolutionnaire quand on sait que chaque ingénieur mixe avec des systèmes très différents, souvent responsables d’un équilibre tonal bancal.
Avec ses réglages d’une extrême finesse (ou plus radicaux sur des enregistrements anciens), l’Audio Palette devient un standard aussi bien en studio que chez les audiophiles exigeants, tranchant avec la doctrine du "fil droit avec du gain".
📖 À lire : Stereophile sur l’Audio Palette

Cello Performance Amplifier II – La puissance maîtrisée
Le Performance Amplifier II, c’est quatre châssis pour un seul but : transmettre la musique avec une transparence totale et une autorité absolue. Deux blocs d’alimentation mono, deux amplis mono, une architecture surdimensionnée et des performances impressionnantes :
2 × 200 W sous 8Ω
2 × 400 W sous 4Ω
2 × 800 W sous 2Ω
2 × 1000 W sous 1Ω
Mais au-delà de la fiche technique, c’est la pureté et la densité sonore qui frappent. L’un des meilleurs amplis à transistors jamais conçus, d’une fiabilité remarquable.

Cello Audio Suite – La modularité ultime
Le préamplificateur Audio Suite ;incarne une approche rare : un châssis principal dans lequel l’utilisateur peut insérer jusqu’à 10 modules différents, pour un système entièrement personnalisé. Deux gammes coexistent :
Modules Basic (B) : performance sérieuse à un tarif plus contenu
Modules Premium (P) : pour ceux qui visent l’absolu
Modules phono, ligne, sortie ou même professionnels : tout est modulaire, évolutif et interchangeable. Une machine à composer son propre son haut de gamme.

Quelques Autres produits Cello :
Cello Aujourd'hui :
Matthew James a reprise la fabrication des électroniques cello et devellopé de nouveaux produits.
Cello Music & Film Systems est devenu Cello Technologies Seattle c'est un installateur de système d'audio vidéo de luxe.
Les autres aventures de Mark Levinson :
Accoustic Research Limited Series (1992)
Aux côtés de David Day (Day Sequerra) et Dan D’Agostino (Krell), Mark conçoit une chaîne complète haut de gamme pour Accoustic Research : préampli, ampli (signé D’Agostino), enceintes, et même un correcteur de tonalité inspiré du Cello. Cette série très exclusive et aujourd’hui introuvable fait partie des configurations les plus désirables jamais produites.

Red Rose Music (1999 – 2004) : le haut de gamme accessible
En 1999, Mark change de cap et fonde Red Rose Music, avec l’idée de proposer des produits plus abordables sans compromis sur la qualité. Basée à New York (sur Madison Avenue), la marque crée des amplificateurs comme l’Affirmation et les enceintes Rosebud MKII, saluées par la presse spécialisée.
Le succès critique est là. Mais la production, basée en Chine, dérape : des copies circulent sur d’autres canaux. L’entreprise devient peu rentable et ferme ses portes en 2004.
Consultant pour LG (2004 – 2007)
Entre 2004 et 2007, Mark met son expertise au service de LG Electronics pour les aider à améliorer la qualité sonore de leurs produits grand public.
Daniel Hertz SA (depuis 2007) : le retour aux fondamentaux
En 2007, Mark fonde Daniel Hertz SA, une entreprise basée en Suisse avec une antenne à Venise. L’objectif ? Allier technologie de pointe et élégance artisanale.
Le nom est symbolique : Daniel, prénom de son père, et Hertz, nom de jeune fille de sa mère. Heinrich Hertz, le célèbre physicien à qui l’on doit la démonstration des ondes électromagnétiques, est un ancêtre de la famille. En hommage, le nom incarne le lien direct avec l’histoire même de l’audio moderne.
Aujourd’hui, Daniel Hertz propose :
Des amplis intégrés et blocs mono
Des enceintes actives haut de gamme
Un logiciel audio innovant pour Mac dédié à la gestion musicale et à la correction sonore
Mark Levinson : l’ingénieur du son, l’oreille absolue
On connaît Mark Levinson comme concepteur d’électroniques audio de légende. Mais on oublie parfois qu’il est aussi un ingénieur du son et de mastering hors pair, capable de sublimer un enregistrement avec la même exigence qu’il applique à la conception de ses appareils.
Au fil de quarante années de passion audio, il a enregistré et masterisé des œuvres majeures de jazz, de blues, de musique classique – mais aussi de musique indienne traditionnelle, en collaboration avec certains des plus grands artistes d’Inde du Nord.
Disciple d’Ali Akbar Khan, Levinson est probablement le seul musicien occidental capable de jouer de la musique indienne à la contrebasse, un exploit rare, tant cette tradition est exigeante.
Levinson au service du son pur
Son matériel de mastering a été utilisé pour remasteriser des albums majeurs, tous styles confondus. Il a personnellement réalisé le remastering de “Birth of the Cool” de Miles Davis pour le label Capitol – une version saluée pour sa justesse et sa profondeur sonore.
En 1998, il assure également la direction technique de “The Miracle Makers”, une série de 3 CD mettant en avant le violoniste Elmar Oliveira, dans le cadre d’un ouvrage de référence dédié aux violons Stradivarius et Guarneri, produit par Geoff Fushi, fondateur de la Stradivari Society.

Pionnier du DSD et du SACD
Lorsque Sony lance le Super Audio CD (SACD), la marque cherche des ingénieurs capables de démontrer la supériorité de ce nouveau format. Levinson fait naturellement partie des rares élus à recevoir un des dix prototypes d’enregistreurs DSD.
Avec ce matériel, il enregistre Live at Red Rose, un SACD devenu culte, utilisé par Sony et Philips comme disque de démonstration officiel du format. C’est l’un des SACD les plus vendus à ce jour.

Fervent défenseur du SACD, Levinson organise lui-même jusqu’à 15 démonstrations par jour pendant trois jours lors du Consumer Electronics Show, convaincu du potentiel de cette technologie.
Collaborateurs et figures clés autour de Mark Levinson
Richard “Dick” Burwen – Le mentor de l’ombre
Génie discret, Dick Burwen se passionne pour l’électronique dès l’enfance, construit ses premières radios à cristal à 8 ans, puis décroche une double formation à Harvard et dans les écoles techniques de la Navy.
Pionnier du son et de la mesure, il travaille chez Bell Labs, conçoit l’un des premiers amplis à très faible distorsion pour Krohn-Hite, participe à l’équipement du deuxième réseau de télévision par câble au monde, et développe des systèmes pour l’aéronautique, le médical, l’automobile ou même les missions lunaires.
Dans les années 70, il fonde Burwen Laboratories et invente des systèmes de réduction de bruit devenus cultes, comme le Model 1000, utilisé par les radios FM et les studios.
Burwen collabore étroitement avec Levinson sur les premiers produits MLAS puis sur l’Audio Palette de Cello, dont la finesse d’égalisation reste inégalée. Plusieurs de ses brevets ont été intégrés dans des millions d’autoradios via National Semiconductor.
Aujourd’hui à la retraite, il continue à concevoir des logiciels audio, fidèle à sa quête de perfection sonore.
John Curl – L’artisan du son
Figure emblématique du design audio, John Curl est l’architecte du légendaire préampli JC-2 de Mark Levinson, conçu dans les années 70. Artisan méticuleux, il crée aussi le rarissime Vendetta, un préampli phono culte produit à moins de 200 exemplaires.
Curl commence chez Ampex, puis Ingénieur chez Alembic il travaille sur le systèmes de sonorisation du Grateful Dead (The wall of Sound).

. En freelance, il touche à tout : consoles, enregistreurs maîtres, préamplis micros, amplificateurs...
Plus récemment, il rejoint Parasound, puis iFi et AMR, où il collabore avec Thorsten Loesch pour développer les gammes ZEN et Signature, toujours en quête du meilleur rapport entre musicalité et technologie.
Tom Colangelo – Fondateur de Viola
Entré chez MLAS en 1976, Tom Colangelo devient rapidement l’ingénieur en chef de Mark Levinson. Il conçoit plusieurs des appareils qui redéfiniront la hi-fi américaine : ML-1 à ML-12, souvent avec Paul Jayson.
Ensemble, ils cofondent Viola Audio Laboratories dans les années 2000. La marque incarne l’héritage Cello, avec des produits ultra haut de gamme comme le préampli Cadenza et l’ampli Symphony.
Colangelo était un concepteur d’exception, discret mais influent. Il disparaît tragiquement dans un accident de voiture en 2007, laissant un vide immense dans l’univers de l’audio haut de gamme.
Conclusion : Mark Levinson, une vie pour le son
Mark Levinson, c’est l’histoire d’un passionné qui a passé sa vie à chercher une chose : faire sonner la musique comme si elle était là, vivante, pleine d’émotion. Qu’il soit aux commandes d’un ampli, derrière une console de mixage ou en train de repenser une chaîne hi-fi de fond en comble, son but a toujours été le même : rendre justice à la musique.
Il n’a pas été le meilleur des hommes d’affaires, mais il a su s’entourer des designer de grand talent et créer des appareils devenus cultes. Il nous laisse aussi quelques enregistrements d’une qualité rare, à la fois technique et artistique.
Si ce portrait vous a donné envie de tendre l’oreille, foncez écouter ses disques, ou testez l’un de ses appareils si vous en avez l’occasion. Même face à des machines modernes à plusieurs milliers d’euros, ils ont encore de quoi faire frissonner.
.
Comments